8. sept., 2017

SENEGAL, création innovante d'un Ministère en charge de la Protection de l'ENFANT

Le remaniement gouvernemental intervenu le 7 Septembre 2017 au Sénégal, a introduit une innovation intéressante relativement à la politique de prise en charge de l'Enfant. En effet habituellement cette problématique était confiée dans sa mise en oeuvre au Ministère de la Famille. Mais avec cette nouvelle décision institutionnelle qui relève cette question de la Protection de l'Enfant, pour la confier à la charge d'un Département ministériel, on ne peut manquer de s'en réjouir, en attendant de voir la contexture organisationnel dudit département.

Ce choix politique d'ors et déjà fait espérer que la prise en compte longtemps réclamée des nouveaux droits conférés à l'Enfant par la CIDE, va pouvoir trouver au travers de ce nouveau tissu institutionnel un moyen permettant de consacrer plus d'attention, de ressources, et de décisions, tendant à mieux assurer l'implémentation de ce texte novateur de la CIDE dans le quotidien de vie des enfants du Sénégal. Et les attentes sont très très fortes à ce niveau.

En tous cas c'est déjà cet espoir, que nourrit le coeur de tous les militants des droits de l'enfant dès la publication de cette information. Mais avant d'aller vite en besogne, la sagesse recommande d'attendre de voir la lettre de mission qui sera conférée à la dite institution, pour pouvoir émettre un jugement mieux avisé. 

Dans cette attente, il n'est pas inuile de se rafraichir la mémoire en convoquant cet article que nous avions consacré à l'état de mise en oeuvre de la CIDE dans notre contexte africain et que nous reproduisons ci dessous:

"...Depuis le 20 novembre 1989 malgré que la CIDE soit quasiment ratifiée en grande majorité par les états africains, l’effectivité de la jouissance des droits consacrés n’est encore pas totale et complète.

En Afrique francophone l’application des droits de l’enfant n’est encore pas inscrite à l’agenda, comme une priorité politique globale. Elle ne se met en œuvre que par une gestion parcellaire, en  réaction instantanée selon les urgences criardes[3], mais sans suivi continu postérieur.

Or, l’application de la CIDE doit  être aujourd’hui une préoccupation majeure, surtout en raison de la  caractéristique de la population africaine marquée par sa jeunesse.

De plus c’est de l’application de la CIDE, que résultera la mise en place d’un système de justice juvénile.

Cependant dans l’espace susvisé, ce processus de construction d’un système de justice juvénile, rencontre plusieurs contraintes dont on peut distinguer: ceux d’ordre structurel, ou tenant au contexte culturel.

Structurellement dans les pays concernés, l’absence de totale harmonisation des cadres légaux avec la CIDE, influe et affaiblit tout le système.

En effet puisqu’ il ne se dessine pas encore comme force directrice, un engagement politique[4] fort affirmé des états[5], pour un  dépistage précoce, puis action[6] à l’encontre de tout phénomène ou état de danger menaçant l’enfant[7].

Dès lors dans cet objectif de construction d’un système de justice juvénile, les cadres fondateurs[8] restent indéterminés dans leur vision, principes et modes de fonctionnement.

Ensuite conséquemment, il manque un cadre normatif quasi complet[9] pour asseoir un encadrement de l’enfance et diverses structures[10] nécessaires pour  la prise en charge d’une politique de protection définie et conduite. Enfin les ressources humaines nécessaires[11] sont encore indisponibles face aux différentes attentes.

Ces problèmes structurels constitueront dès lors de véritables facteurs bloquants pour faire naitre un système opérationnel.

Au-delà de ces aspects structurels ci-dessus relevés, il y a en plus, que le terreau d’accueil n’est encore pas culturellement bien préparé à une assimilation de la CIDE, de ses principes, ce qui limite l’adhésion des populations au contenu de son message et  renforce leur ancrage dans leurs  traditions et pratiques courantes.

 

Partant donc de tout cela cette présente réflexion tente de dresser une revue synthétique des contraintes et défis, à solutionner pour favoriser la construction d’une justice juvénile en Afrique francophone.

Cette revue sera centrée sur les difficultés pratiques relevées dans l’action quotidienne des acteurs à la base, et dont la connaissance puis la réforme pourra permettre une meilleure prise en charge de l’enfant.

A/ Revue des contraintes structurelles[12] à l’application de la CIDE:

A ce niveau relevons 3 points marquants d’analyse : l’état de la loi, l’absence de cadre d’appui, et la faible capacité des acteurs. En effet s’il survient un engagement politique plus affirmé des états dans l’application de la CIDE, cela aura l’effet de se traduire concrètement par l’adoption de lois, desquels naitront des cadres adaptés d’intervention, que des acteurs en capacités pourront parfaitement animer. Mais aussi au moment de concevoir ces réformes importantes, et pour en tirer le meilleur profit, il est utile de bien percevoir les vrais écueils à aplanir ; c’est à cela que cette réflexion tente de contribuer.

  1. Les lacunes de la loi [13]  conséquence de sa faible harmonisation[14] avec la CIDE :

C’est l’harmonisation et la domestication des principes de la CIDE qui entraineront l’application correcte des droits consacrés à l’enfant. C’est donc un gros défi que de réussir  cette harmonisation  dont la réalisation, induira la reconnaissance du caractère spécial des droits de l’enfant, jusqu’ici perçu par les acteurs comme une dérogation du droit commun. Mais dans cette harmonisation en cours, il est intéressant d’avoir une attention sur des questions pratiques urgentes[15] à régler, dont notamment celles relatives à, une clarification des garanties de respect de l’âge[16] de la minorité, également  le traitement correct de l’irresponsabilité[17] pénale, la gestion de la confidentialité[18], l’assurance du respect du droit à l’assistance à toutes les étapes procédurales, du principe de célérité, et de la spécialisation des intervenants. Tout autant, dans ce processus d’adaptation continue, même avec l’adoption d’une loi nouvelle[19]  des difficultés peuvent  encore survenir gênant son application, en raison de sa formulation[20] ou de son  inadéquation face au contexte[21], ou en raison de pesanteurs socio culturelles devenant des freins à son effectivité. Donc même le travail d’architecture et d’élaboration de la loi demeure un défi, impliquant la nécessité d’une bonne formation préalable des ressources humaines en charge de sa rédaction[22]. Mais en plus, le travail ne finit pas à l’adoption de la loi, car toute une logistique doit être postérieurement à l’œuvre pour appuyer l’enracinement de la loi.

  1. L’insuffisance des moyens[23] et  l’absence de structures d’appui[24] au cadre legal, autre facteur bloquant :

A la suite de cette harmonisation susvisée et des observations relevées la caractérisant, la mise en place des structures d’accompagnement du dispositif d’intervention est en attente mais à des niveaux différents selon les pays. Car la loi doit être renforcée dans son application, par des structures administratives, judiciaires, ou sociales d’appui[25] aptes à réaliser son effectivité. Et sur ce plan, l’état de celles existantes chargées des privations de liberté[26] est généralement fort préoccupant et appelle une amélioration, et un changement de pratique instaurant un usage renforcé aux alternatives à la privation de liberté.

  1. Les faibles capacités[27] des acteurs dans leur mode intervention: Certes la formation des acteurs pour l’intégration des principes requis dans leur pratique est en cours[28]. Mais cette formation est quelquefois freinée dans ses effets, par l’absence totale d’harmonisation du cadre légal déjà relevée, ce qui réduit ses résultats dans le mode d’intervention des acteurs, au point de les entrainer à ne pouvoir user à la place des acquis de la formation, que de voies palliatives[29] pour faire bénéficier à l’enfant de certains droits consacrés. Et cette formation encore nécessaire doit aussi forcément s’orienter hors la sphère judiciaire et vers les décideurs politiques[30] ou administratifs, car la non compréhension  par ces derniers des principes spécifiques de la CIDE, est aussi source de freins à l’action des acteurs de terrain et de proximité.

 

B/ Enfin comme autre contrainte majeure à côté des éléments structurels, le contexte socio culturel:

Le contexte socio culturel ambiant se caractérise auprès des populations, par une réserve vis-à-vis de la justice moderne et de ses procédures, cela bien que des expériences intéressantes soient en chantier comme celle d’une justice dite de proximité[31]. Tout cela s’expliquant par un défaut de d’harmonie entre la conception traditionnelle de la justice et son mode moderne de fonctionnement actuel. Il demeure  dans l’esprit de la population, une retenue à aller directement vers cette justice moderne sauf sous contrainte ; ainsi pour le traitement de certaines causes[32], les tentatives de solutions débutent souvent par des « conciliations traditionnelles » entre personnes ou familles, pour éviter cette justice.

Il est donc à rechercher un mariage entre le droit moderne et la culture ambiante. Et l’incompréhension nait de ce que la population ne sent pas sa participation ou son rôle[33], dans le processus moderne d’exercice de la justice. Les seules voies d’intervention où on semble aujourd’hui lui proposer ou  reconnaitre un rôle, sont celles dite des modes alternatifs de justice s’exprimant par à une conciliation /médiation ou autres formules, mais alors écrite ou réalisée dans une forme non intégrée dans ses schémas d’action traditionnelle. Or la justice étant faite pour les populations ne pourra jamais s’exercer sans elles ; dès lors il est à rechercher la combinaison ou la voie d’adhésion permettant une symbiose et compréhension mutuelle ; mais là s’ouvre un chantier vraiment énorme.

 

C/ En conclusion de cette réflexion, voilà enfin quelques propositions en recommandations pour dès lors avancer:

Au final, la présente analyse en synthèse fait ressortir trois grandes insuffisances à savoir,  la non détermination politique de la part des états d’une ligne directrice, d’autre part la faible structuration de l’action à mener, influant sur sa qualité, et sa correcte coordination dans sa bonne mise en œuvre.

Face donc à ce constat, les recommandations suivantes sont des propositions de solutions :

  • Asseoir de la part des états une vision et une politique d’ensemble de réelle application de la CIDE, intégrant un cadre national de concertation.

  • Définir ensuite pour cela dans une coordination d’ensemble les mandats rôles et responsabilités des acteurs concernés tout en veillant à leur formation complète.

  • Organiser enfin les services administratifs, juridiques et judiciaires d’intervention dans la garantie tant de leur accessibilité, leur couverture nationale et de la qualité de leurs prestations selon des directives, protocoles, procédures bien déterminées et opérantes.

    Il y aura tout au moins dans la mise en œuvre de ces voies proposées, une sérieuse amorce vers l’amélioration continue de la prise en charge de l’enfant selon les exigences de la CIDE.

    Fait à Dakar ce 14 novembre 2013.

    Par Me François Diassi...."