9. sept., 2017

Le défi culturel dans l'implémentation de la CIDE en Afrique, énorme chantier...

Dans l'espace africain le droit actuel dit moderne émanant de l'Etat, nait et s'applique selon une certaine vision et forme d'expression non conforme à la normale perception, que devrait en avoir les populations sur qui il est destiné à s'appliquer.

En effet l'évolution historique antérieure de naissance de l'Etat, a installé ces populations dans un modèle culturel, social et politique, qui reste selon leur perception exogène.

Car le modèle de gouvernance colonial induit une conception autoritaire et centrale de l’administration des territoires.

Puis ce modèle d’exercice du pouvoir a été maintenu après les indépendances sous des formes civiles et militaires se justifiant par la nécessité d’une unification et construction d’Etat nation.

Ainsi le droit formel actuel  tel qu'adopté par les lois émanant de l'Etat est imbu de ce poids contraignant, et rencontre alors dans son application des limites, dus à une certaine perception de réserve source de non adhésion aux principes qu'il véhicule.

Car sous ce modèle d'organisation les populations sont poussées presque forcées à entrer dans une modernité culturelle, sociale et politique jugée à nature forcément exogène.

Alors que malgré tout elles ont conservé un socle de solidarité (la tradition) ancré sur le monde rural et qui persiste malgré l’urbanité faisant que les groupes sociaux continuent de s’y reconnaitre.

Cette tradition consiste en un ensemble d'idées, de doctrines, de pratiques, de moeurs, de techniques, de connaissances, d'habitudes , d'attitudes transmises dans la communauté, de génération en génération. Ses racines fondent la vie rurale africaine, son contenu se transmettant aux membres de la communauté par l'éducation traditionnelle.

Cette ruralité repose dans son expression sur les familles et sur les règles sociales qui les régissent ; ainsi l’autorité y reste exercée par le chef, le conseil des anciens pour assurer la garantie du respect de la tradition. Voilà ce qui constitue la dimension communautaire de la vie africaine.

Les règles issues de cette ruralité déterminent toute l’évolution de la vie personnelle et sociale (selon des moments de vie comme le mariage, les naissances, les décès, etc...); c'est pourquoi le pouvoir de l’Etat ne peut les méconnaitre et tente de créer le lien par l’usage du clientélisme.

Il résulte donc de tout cela au plan du statut personnel, une admission non spontanée de ce droit émanant de l'Etat, car les populations restent installées dans une conception traditionnelle de vie formant ce socle, que le pouvoir de l'Etat ne peut méconnaître; mais au contraire il doit trouver intérêt à rechercher les voies de son intégration à ce système de pensée, pour susciter l'adhésion à ses règles.

En somme l'Afrique ne peut donc se couper de son commmunautarisme, qu'elle doit inclure dans la modernité pour évoluer. 

Cette situation ainsi décrite peut être encore plus clarifiée pour sa meilleure compréhension, à partir des observations descriptives suivantes du sens de la Tradition et de  son rôle.

- D'abord élucidons la source et la force de l'ancrage communautaire sur l'individu:

Poursuivant une visée d'intégration, la tradition cherche à faire de l'individu un membre socialement et culturellement intégré, qui participe activement à toutes ses activités. Elle a bâti pour cela des normes admises par tous, une sorte de convention collective acceptée qui crée un cadre de référence, définissant la communauté et la distinguant des autres. Dans ce cadre il est donc déterminé la place de l'individu ses droits et devoirs vis à vis de la communauté.

Préparé donc au respect d'un ordre social organisant sa conduite individuelle et collective l'individu membre de la communauté admet sa primauté sur sa personne.

  • Dans la Tradition il y a donc primauté de la communauté sur la personnalité juridique de l'individu 

Car contrairement au droit dit moderne qui consacre toute la personnalité juridique sur l'individu.

La perception africaine du droit lui adjoint au préalable son appartenance communautaire, dans laquelle il dilue spontanément sa capacité juridique personnelle. La conséquence en est que l'aspect communautaire domine sur l'individu; l'individu n'est reconnu qu'en tant qu'il est rattaché préalablement à sa communauté, avec les devoirs, et les responsabilités qui en découlent.

Ainsi les intérêts de la communauté passe avant celui de l'individu; au point que la pire des sanctions pour l'individu est d'être exclu de sa communauté. Il est ainsi difficile à un africain de se départir de ce lien.

  • Dans la communauté aussi la personnalité juridique de l'individu dépend de son statut interne. 

En effet énorme conséquence de ce rattachement communautaire, la personnalité juridique de l'individu dépend de son statut dans la communauté; et ce statut est évolutif selon les étapes de la vie de l'individu. Et ainsi la personnalité juridique gagne en force en termes de capacités avec l'évoultion en âge de l'individu, suivant les étapes de vie qui en fixe les échelons: enfance, adolescence, âge adulte, mariage,parentalité, vieillesse.

- Ensuite au delà du statut de la personne, d'autres observations sont relatives à certaines caractéristiques conférées à la règle de droit et à sa mise en oeuvre dans la vie sociale:

La vie sociale et communautaire est bâti sur la recherche d'un ordre social de vie apaisé, évitant autant que possible les conflits.

Dans l'hypothèse par exemple d'une résolution de conflit né de la vie communautaire; la sanction émanant de la règle de droit n'est en général pas préalablement établie, la normativité n'est pas fondée sur des règles préalablement écrites; la règle nait de la négociation, elle n'est pas fixée à l'avance, ce qui implique un long dialogue arbitré entre les parties. Ainsi donc le réglement du conflit vise  la restructuration des rapports entre l'auteur , la victime et la communauté. L'objectif est d'instaurer un équilibre entre les intérêts et les forces en présence et en interraction.

Egalement la résolution du conflit vise le futur et ne se focalise pas sur le passé. Et le contenu de l'accord a le souci de préserver les relations futures des parties considérées comme vitales pour la communauté.

C'est pourquoi la sentence ne se  décidera jamais sur l'urgence, on hésitera à la prononcer, tant que la certitude n'est pas acquise à l'adhésion, et tous les efforts seront tentés pour rendre la  situation acceptable par tous. La raison est que le jugement doit s'appliquer pour garantir le vivre ensemble à l'avenir, il faut donc que le tissu social soit réparé, et dès lors du temps doit être pris pour y arriver.

De cela il découle donc que les infractions considérées comme les plus graves, sont celles visant à mettre en danger le vivre ensemble, la collectivité. Et surtout lorsque ces infractions sont alors préméditées.

Enfin dans la forme pour l'expression du droit, il s'exige alors que la résolution du conflit se fasse publiquement au besoin avec la participation et l'avis du public. Car toute matière personnelle est aussi d'intérêt public, et concerne la communauté entière, d'où la nécessité de la participation publique.

Au vu donc de l'influence de toutes ces perceptions relevées, l'adhésion aux principes du droit moderne qui n'intègre pas cette vision, crée nécessairement une opposition source de limites à l'acceptation de la règle.

Il devient donc évident que par rapport au système juridique moderne, ses valeurs tel que la primauté de l'Etat sans donner place à la communauté, l'individualisme oubliant le lien communautaire, la personnalité juridique simplement individuelle, deviennent difficilement admissibles et peuvent même être source d'inadaptation rendant ce droit étranger aux populations et même source d'oppositions.

Nous vivons ainsi dans nos Etats africains en construction un manque d'articulation entre les différents ordres juridiques: celui émanant du droit moderne, face aux ordres extra étatiques, doù une pluralité d'ordres juridiques.

Cela produit la nécessité pour les sciences sociales d'avoir à résoudre un défi de taille qui sera d'en obtenir une synthèse historique, devant aboutir à la création d'un droit africain qui ne peut être la simple reproduction de modèles non compatibles avec les réalités et spécifités du milieu de vie. 

C'est pourquoi le travail nécessaire à faire est un mariage des positions, par l'option d'une endogénéité du droit, d'une inculturation du droit moderne, c'est à dire son adaptation entrainant une intégration de cette percetion traditionnelle, source d'un nouveau de types et dispositifs institutionnels d'action à créer.

Une question sous jacente découlant de toute cette réflexion et relative à  la prise en charge judiciaire de l'enfant, ouvre sur ce plan la question de choix du modèle de justice qui lui serait appliqué. Et il se révèle en partant des observations ci dessus les grandes similitudes de cette forme de pensée avec les principes de base de la justice restauratrice. Et ceci sera l'objet d'un point de réflexion futur.

Cependant cette donnée d'identité communautaire spécifique au contexte africain n'est pas une limite, mais doit être considérée  comme un atout, une force, parce qu'exprimant la capacité de l'Afrique à une symbiose des diversités pour construire l'unité; mais cette unité n'est faite d'exclusion, mais plutôt d'inclusion. Ce qui est une source d'enrichissement.

En effet la tradition n'est pas une institution figée, conservatrice, rétrograde et insensible aux changements. Elle se confond certes avec le passé, mais elle la transcende, et ne s'oppose pas au modernisme. Elle l'intègre par compréhension. Nous en avons des exemples visibles avec ce qui se fait dans la musique actuelle, où les sonorités traditionnelles se sont adaptées à l'usage des instruments modernes; et c'est aussi le cas avec le cinéma, le théatre, qui aujourd'hui produisent l'expression culturelle et transmettent les messages assumant à ce titre un rôle didactique. Mais là où des efforts importants sont encore à faire à ce titre, c'est au niveau de l'école, et des institutions, où des évolutions d'intégration des éléments positifs de la Tradition sont sérieusement attendues.

Alors tenant compte de ces aspects, le droit moderne et c'est son défi, doit travailler sa capacité d'intégrer la tradition dans sa vision et ses règles. Et l'idée importante en cela c'est comprendre que l'espace de la Tradition est bâtie sur le dialogue non la contrainte, méconnaître cela c'est créer d'ors et déjà les conditions du rejet et de la répulsion.

Cependant une grosse limite dans tout ce travail de mise en harmonie de la Tradition avec la modernité est à trouver dans la contrainte naissant des exigences de financement pour la réalisation de ces activités à essence culturelle et traditionnelle.

En effet l'obtention de ce financement est soumis à l'évaluation basée sur le critère de la rentabilité découlant de la loi du marché; il y a dès lors dès l'entame à se demander comment solutionner cette exigence d'obtention du financement soumis à la loi de l'économie du marché; et la réponse positive ou négative obtenue à cette question, devient la clé ou l'handicap pour faire avancer ou suspendre l'évolution d'une idée, ou d'une voie d'action.

C'est pourquoi donc la lutte aujourd'hui entre la tradition et la Modernité se situe également dans la contradiction à gérer relativement à la monétarisation des rapports qui affecte même la dimension essentiellement humaine, contrairement à la vision traditionnelle, qui ne fonde pas toutes ses interventions sur l'argent, et l'estimation préalable d'un coût. Car la Tradition donne en effet une certaine place à la gratuité, ce qui est tout à l'opposé de la vie présente.

Autrement dit tout revient à savoir quelles solutions trouver face à la monétarisation, relativement à des activités culturelles traditionnelles, que l'économie de marché qui prédomine présentement ne juge pas à priori rentables. Alors que les communautés concernées ne disposent souvent pas des moyens financiers d'action pour s'autofinancer, et que l'Etat quant à lui est soumis aux exigences des lois du marché. Et cela fait donc que la rentabilité devient le critère de détermination des orientations politiques. Et sur ce fondement se justifie souvent l'inaction, face à des attentes de la population pourtant de haute valeur humaine.

Ainsi voilà encore une des contradictions qui gênent le soutien à l'action d'harmonisation de la Tradition avec la modernité et sur laquelle des réponses doivent etre recherchées et trouvées pour garantir le progrès humain en Afrique.

 Me François Diassi