9. déc., 2017

Problématique de la mise en oeuvre de la justice Juvénile dans l’espace africain francophone :

Depuis le 20 novembre 1989 malgré que la CIDE soit quasiment ratifiée en grande majorité par les états africains, l’effectivité de la jouissance des droits consacrés n’est encore pas totale et complète.

En Afrique francophone l’application des droits de l’enfant n’est encore pas inscrite à l’agenda, comme une priorité politique globale. Elle ne se met en œuvre que par une gestion parcellaire, en  réaction instantanée selon les urgences criardes[1], mais sans suivi continu postérieur.

Or, l’application de la CIDE doit  être aujourd’hui une préoccupation majeure, surtout en raison de la  caractéristique de la population africaine marquée par sa jeunesse.

De plus c’est de l’application de la CIDE, que résultera la mise en place d’un système de justice juvénile.

Cependant dans l’espace susvisé, ce processus de construction d’un système de justice juvénile, rencontre plusieurs contraintes dont on peut distinguer: ceux d’ordre structurel, ou tenant au contexte culturel.

Structurellement dans les pays concernés, l’absence de totale harmonisation des cadres légaux avec la CIDE, influe et affaiblit tout le système.

En effet puisqu’ il ne se dessine pas encore comme force directrice, un engagement politique[2] fort affirmé des états[3], pour un  dépistage précoce, puis action[4] à l’encontre de tout phénomène ou état de danger menaçant l’enfant[5].

Dès lors dans cet objectif de construction d’un système de justice juvénile, les cadres fondateurs[6] restent indéterminés dans leur vision, principes et modes de fonctionnement.

Ensuite conséquemment, il manque un cadre normatif quasi complet[7] pour asseoir un encadrement de l’enfance et diverses structures[8] nécessaires pour  la prise en charge d’une politique de protection définie et conduite. Enfin les ressources humaines nécessaires[9] sont encore indisponibles face aux différentes attentes.

Ces problèmes structurels constitueront dès lors de véritables facteurs bloquants pour faire naitre un système opérationnel.

Au-delà de ces aspects structurels ci-dessus relevés, il y a en plus, que le terreau d’accueil n’est encore pas culturellement bien préparé à une assimilation de la CIDE, de ses principes, ce qui limite l’adhésion des populations au contenu de son message et  renforce leur ancrage dans leurs  traditions et pratiques courantes.

 

Partant donc de tout cela cette présente réflexion tente de dresser une revue synthétique des contraintes et défis, à solutionner pour favoriser la construction d’une justice juvénile en Afrique francophone.

Cette revue sera centrée sur les difficultés pratiques relevées dans l’action quotidienne des acteurs à la base, et dont la connaissance puis la réforme pourra permettre une meilleure prise en charge de l’enfant.

 

A/ Revue des contraintes structurelles[10] à l’application de la CIDE:

A ce niveau relevons 3 points marquants d’analyse : l’état de la loi, l’absence de cadre d’appui, et la faible capacité des acteurs. En effet s’il survient un engagement politique plus affirmé des états dans l’application de la CIDE, cela aura l’effet de se traduire concrètement par l’adoption de lois, desquels naitront des cadres adaptés d’intervention, que des acteurs en capacités pourront parfaitement animer. Mais aussi au moment de concevoir ces réformes importantes, et pour en tirer le meilleur profit, il est utile de bien percevoir les vrais écueils à aplanir ; c’est à cela que cette réflexion tente de contribuer.

  1. Les lacunes de la loi [11]  conséquence de sa faible harmonisation[12] avec la CIDE :

    C’est l’harmonisation et la domestication des principes de la CIDE qui entraineront l’application correcte des droits consacrés à l’enfant. C’est donc un gros défi que de réussir  cette harmonisation  dont la réalisation, induira la reconnaissance du caractère spécial des droits de l’enfant, jusqu’ici perçu par les acteurs comme une dérogation du droit commun. Mais dans cette harmonisation en cours, il est intéressant d’avoir une attention sur des questions pratiques urgentes[13] à régler, dont notamment celles relatives à, une clarification des garanties de respect de l’âge[14] de la minorité, également  le traitement correct de l’irresponsabilité[15] pénale, la gestion de la confidentialité[16], l’assurance du respect du droit à l’assistance à toutes les étapes procédurales, du principe de célérité, et de la spécialisation des intervenants. Tout autant, dans ce processus d’adaptation continue, même avec l’adoption d’une loi nouvelle[17]  des difficultés peuvent  encore survenir gênant son application, en raison de sa formulation[18] ou de son  inadéquation face au contexte[19], ou en raison de pesanteurs socio culturelles devenant des freins à son effectivité. Donc même le travail d’architecture et d’élaboration de la loi demeure un défi, impliquant la nécessité d’une bonne formation préalable des ressources humaines en charge de sa rédaction[20]. Mais en plus, le travail ne finit pas à l’adoption de la loi, car toute une logistique doit être postérieurement à l’œuvre pour appuyer l’enracinement de la loi.

  2. L’insuffisance des moyens[21] et  l’absence de structures d’appui[22] au cadre legal, autre facteur bloquant :

    A la suite de cette harmonisation susvisée et des observations relevées la caractérisant, la mise en place des structures d’accompagnement du dispositif d’intervention est en attente mais à des niveaux différents selon les pays. Car la loi doit être renforcée dans son application, par des structures administratives, judiciaires, ou sociales d’appui[23] aptes à réaliser son effectivité. Et sur ce plan, l’état de celles existantes chargées des privations de liberté[24] est généralement fort préoccupant et appelle une amélioration, et un changement de pratique instaurant un usage renforcé aux alternatives à la privation de liberté.

  3. Les faibles capacités[25] des acteurs dans leur mode intervention: Certes la formation des acteurs pour l’intégration des principes requis dans leur pratique est en cours[26]. Mais cette formation est quelquefois freinée dans ses effets, par l’absence totale d’harmonisation du cadre légal déjà relevée, ce qui réduit ses résultats dans le mode d’intervention des acteurs, au point de les entrainer à ne pouvoir user à la place des acquis de la formation, que de voies palliatives[27] pour faire bénéficier à l’enfant de certains droits consacrés. Et cette formation encore nécessaire doit aussi forcément s’orienter hors la sphère judiciaire et vers les décideurs politiques[28] ou administratifs, car la non compréhension  par ces derniers des principes spécifiques de la CIDE, est aussi source de freins à l’action des acteurs de terrain et de proximité.

 

B/ Enfin comme autre contrainte majeure à côté des éléments structurels, le contexte socio culturel:

Le contexte socio culturel ambiant se caractérise auprès des populations, par une réserve vis-à-vis de la justice moderne et de ses procédures, cela bien que des expériences intéressantes soient en chantier comme celle d’une justice dite de proximité[29]. Tout cela s’expliquant par un défaut de d’harmonie entre la conception traditionnelle de la justice et son mode moderne de fonctionnement actuel. Il demeure  dans l’esprit de la population, une retenue à aller directement vers cette justice moderne sauf sous contrainte ; ainsi pour le traitement de certaines causes[30], les tentatives de solutions débutent souvent par des « conciliations traditionnelles » entre personnes ou familles, pour éviter cette justice.

Il est donc à rechercher un mariage entre le droit moderne et la culture ambiante. Et l’incompréhension nait de ce que la population ne sent pas sa participation ou son rôle[31], dans le processus moderne d’exercice de la justice. Les seules voies d’intervention où on semble aujourd’hui lui proposer ou  reconnaitre un rôle, sont celles dite des modes alternatifs de justice s’exprimant par à une conciliation /médiation ou autres formules, mais alors écrite ou réalisée dans une forme non intégrée dans ses schémas d’action traditionnelle. Or la justice étant faite pour les populations ne pourra jamais s’exercer sans elles ; dès lors il est à rechercher la combinaison ou la voie d’adhésion permettant une symbiose et compréhension mutuelle ; mais là s’ouvre un chantier vraiment énorme.

 

C/ En conclusion de cette réflexion, voilà enfin quelques propositions en recommandations pour dès lors avancer:

Au final, la présente analyse en synthèse fait ressortir trois grandes insuffisances à savoir,  la non détermination politique de la part des états d’une ligne directrice, d’autre part la faible structuration de l’action à mener, influant sur sa qualité, et sa correcte coordination dans sa bonne mise en œuvre.

Face donc à ce constat, les recommandations suivantes sont des propositions de solutions :

  • Asseoir de la part des états une vision et une politique d’ensemble de réelle application de la CIDE, intégrant un cadre national de concertation.

  • Définir ensuite pour cela dans une coordination d’ensemble les mandats rôles et responsabilités des acteurs concernés tout en veillant à leur formation complète.

  • Organiser enfin les services administratifs, juridiques et judiciaires d’intervention dans la garantie tant de leur accessibilité, leur couverture nationale et de la qualité de leurs prestations selon des directives, protocoles, procédures bien déterminées et opérantes.

Il y aura tout au moins dans la mise en œuvre de ces voies proposées, une sérieuse amorce vers l’amélioration continue de la prise en charge de l’enfant selon les exigences de la CIDE.

Fait à Dakar ce 14 novembre 2013.

Par Me François Diassi.



[1] Il s’est souvent mis en place des campagnes d’action axées sur des thématiques,  débuté avec un grand renfort médiatique, puis s’évanouissant ensuite dans une indifférence sans suivi correcte et organisé de ses effets.

[2] Il n’y a généralement pas de politique définie et complète relative à la justice pour enfants, sauf de très rares exceptions, par exemple le cas intéressant de quelques pays ayant produit un document d’orientation de la politique pénale, et où la justice juvénile est pris en compte.

[3] A ce titre par rapport au mode d’action, on sent plus de l’attentisme que de la prévention /anticipation, pour preuve, les actions préventives restent très minimes, on attend que l’événement malheureux se  passe et on réagit après sur l’instant et sans suivi.

[4] Les réponses politiques, judiciaires  ou sociales aux problèmes sont très lentes à se mettre en place, et suppose le recours à des procédures complexes auxquelles les populations ne sont  ni habituées ni outillées à les mettre en œuvre, et un accompagnement  n’est souvent pas disponible, ce qui produit léthargie ou inaction.

[5] La justice pour l’enfant est marquée par un constat de non accessibilité et de manque de couverture intégrale de tous ses services tout que par la faiblesse de la qualité de services dont il n’est pas encore défini des normes minimum pour base dévaluation de ses prestations. Donc il est donc encore loin sa prise en charge sur tous les risques de vulnérabilité de l’enfant.

[6] Pour la plupart et depuis la ratification de la CIDE, la lecture des différents codes ou lois applicables fait remarquer qu’ils  n’ont souvent fait l’objet que de faibles retouches (sauf dans un nombre très limité de pays qui ont créé de nouvelles lois) ;ce qui ne traduit pas une vision de réelle intégration des principes et modes d’administration d’une véritable justice pour mineurs.

[7] Là il est question certes du cadre légal mais qui en plus manque d’être enrichi par des protocoles d’action, des directives et procédures spécifique en complément.

[8] Souvent c’est à la faveur des programmes d’action cités (voir note de référence  3) que des services naissent mais dans un rayon d’intervention limité avec un personnel insuffisant.

[9] Très faible présence par exemple d’assistants sociaux, d’avocats, de compétences spécialisées dans divers domaines nécessaires de prise en charge.

[10] Il est visé et regroupé dans ces aspects structurels, toutes les contraintes empêchant d’organiser ou structurer l’action.

[11] Le défi d’avoir une loi conforme à la CIDE est majeur, mais est loin d’être relevé par les états, ce qui se traduit par l’impossibilité d’exiger des acteurs l’application de garanties juridiques que leur loi applicable n’intègre pas, exemple de cela sur la notion de déjudiciarisation, ou celle de la brièveté de toute privation de liberté, ou encore droit à l’assistance de l’enfant par un avocat ou toutes autres compétences spécialisées. Si la loi est muette, les acteurs sont paralysés.

[12] L’harmonisation s’entend comme la réforme de la loi nationale pour l’intégration totale et complète des principes et règles émanant de la CIDE

[13] Beaucoup de notions consacrées par la CIDE restent encore non maitrisées dans leur définitions ou les modalités  et conséquences de leur mise en œuvre. 

[14] Exemple sur cette question, la production d’un acte d’état civil pour attester de la naissance est encore un grand défi. Dès lors l’autorité judiciaire est souvent face à des cas sans acte d’état civil justifiant l’âge, l’enfant courant le risque alors d’être privé du bénéfice des droits de sa minorité. Les  causes de cela étant que populations n’ont pas été préparées à la gestion élémentaire de ce droit de l’enfant à un acte d’état civil, garantie première de sa personnalité juridique. Alors que cette question de l’âge est fondamental parce qu’elle marque le point d’ouverture au bénéfice des droits consacrés. Il faut donc faire réaffirmer légalement comment y appelle l’observation générale n°10 du Comité des droits de l’enfant que le doute avéré sur l’âge doit profiter à l’enfant.

[15] Dans certains pays les acteurs ont rencontré des difficultés à l’admission de ce concept, interprété par  des victimes ou des populations comme une forme d’impunité et un laxisme de leur part, au point que pour contrecarrer ces préjugés de tels enfants sont installés en milieu carcéral avec comme justification déclarative d’assurer leur protection.

[16] Cette question est urgente à traiter dans ses aspects tant  structurels que comme  liés aux comportements des acteurs.

[17] Là sont visés des pays où les réformes du cadre légal ont été entreprises, ces réformes ne produisent pas automatiquement une application aisée de la loi, laquelle bute sur d’autres écueils, voir les notes 19 et 20 ci-dessous.

[18] Certains concepts nouveaux de la loi restent difficiles à faire admettre aux acteurs, par exemple relativement à la privation de liberté devant être une  mesure de dernier ressort, cela face au reflexe habituel et systématique de recours à la prison, en plus de la pression de la victime,… le respect du droit à l’information, à la participation, à la présence des parents, voire le droit au  silence… etc ; car d’autres pratiques ou reflexes sont ancrées et ont du mal à s’extirper. C’est là où le processus de formation continue apporte tout son effet, pour produire le changement de regard des acteurs du terrain.

[19] Beaucoup de difficultés naissent aussi de l’incompréhension des notions contenues dans la loi elle-même, empêchant ensuite de pouvoir l’appliquer ; son langage est incompris inadaptée, ses procédures complexes pour une population généralement analphabète dans la langue de sa rédaction. Là il sera nécessaire au-delà de l’adoption des lois, que des voies de sensibilisation avérées soient judicieusement organisées au profit des populations, car il ne faut attendre leur adhésion à une loi qu’ils ne comprennent pas.

[20] Des réformes légales ont en effet eu peu de résultats, de par des formulations ou rédaction malheureuses de la loi réalisées par des mains non expertes.

[21] Il est notable ici la faiblesse des ressources financières ou matérielles, bloquant l’action des acteurs à qui il peut manquer  par exemple même du papier pour rédiger un procès-verbal, de la nourriture pour un gardé à vue…et plus encore

[22] Il est visé ici les structures de base manquantes dans la prise en charge, tout autant que la faiblesse dans l’organisation, voire la coordination des différentes interventions, ce pour leur donner de la cohérence et de l’impact ou simplement évaluer leur action.

[23] A ce niveau de création de structures des réflexions adaptées doivent menées, car le choix ne peut s’orienter sur des voies couteuses à gestion difficiles, mais vers des formes plus proches des structures traditionnelles, exemple les familles d’accueil, le tutorat judiciaire devraient être privilégiées à des centres d’accueil chaque fois que c’est possible, pour marquer un engagement plus renforcé de la communauté au processus en cours.

[24] Il s’agit des prisons considérées par les acteurs  comme premier recours, en l’absence d’autres structures et dont l’état de vétusté et de non fonctionnalité particulièrement pour des enfants est fort préoccupant partout dans le continent.

[25] Il est visé ici l’insuffisance de la formation des acteurs sur toutes les problématiques nées de l’état de vulnérabilité de l’enfant, du manque d’expertise dans  la pratique de leur action  et des solutions adaptées à devoir rechercher pour les appliquer. Il reste encore donc peu acquis de la part des acteurs, une pratique professionnelle maîtrisée. En plus s’y ajoute une rareté ou insuffisance aussi de certaines ressources humaines nécessaires, exemple des travailleurs sociaux, des avocats…ce qui entraine l’usage en substitution de palliatifs impliquant une prise en charge non adéquate.

[26] Voir la note déjà produite par Me Diassi intitulé : « Panoramique sur les formations…. »

[27] Exemple on supplée à l’absence d’avocat suppléé par l’intervention de personnes ayant des connaissances en droit, or l’enfant n’a pas besoin d’une défense au rabais.

[28]Car le constat sur les terrains d’intervention  nous a mène à relever, que les autorités décisionnelles dans les administrations ont souvent une connaissance sommaire de la CIDE et de ses principes, ce qui peut constituer un handicap lorsqu’ils sont dans le devoir de prendre des décisions sans maitriser l’impact sur l’application de la CIDE, où même que ces décisions soient inopportunes,  au point qu’elles puissent freiner l’action des acteurs subalternes intervenants à la base.

[29] C’est le cas des maisons de justice, expérience en cours au Sénégal par exemple avec pour visée entres autres un rapprochement de la justice d’avec les populations.

[30] Exemples bagarres d’enfants, conflits de voisinage…

[31] Dans l’imagerie populaire la justice populaire la justice traditionnellement rendue sous l’arbre à palabres avec sa participation reste vivace, face celle moderne avec la barrière de l’écrit et son formalisme qui lui est inconnu. Il n’est pas proposé de revenir aux temps anciens, mais de réfléchir et trouver l’accroche, la clé produisant la symbiose qui manque.