19. févr., 2018

LES JUSTICIABLES MINEURS ET LEUR TRAITEMENT JUDICIAIRE DANS LES ACTES QUALIFIES DE TERRORISME

LE CONSTAT RELEVE DANS LA LEGISLATION PENALE AU SENEGAL APPLICABLE DE LA VIOLATION DU DROIT A UN TRAITEMENT SPECIAL CONFORME AUX ARTICLES 37 ET 40 DE LA CIDE

La recrudescence des faits qualifiés de terrorisme a entrainé différents états à devoir légiférer pour circonscrire le cadre juridique du traitement de ces faits.

Le droit français qui sert de référence à la plupart des états africains francophone, a fait le choix à ce titre d'éviter d'opter pour une législation d'exception. Ainsi elle a tenté d'adapter son droit pénal et sa procédure pénale, dans la recherche d'un équilibre entre le souci d'apporter une réponse d'efficacité face à cette forme de violence extrême d'une part, et d'autre part tenter de respecter les libertés individuelles. Cette recherche d'équilibre est un exercice délicat qui ne manquera pas d'être évalué à l'épreuve de la réalité de l'application de la loi.


Rappelons que du point de ses caractéristiques, l'organisation judiciaire pénale française est fondée sur un parquet hiérarchisé assurant l'exercice de l'action publique et des magistrats instructeurs charges de la conduite des enquêtes. Ce même dispositif du droit commun a donc été conservé a été conserve mais en lui conférant une émanation spéciale lorsque les actes ou faits ont une qualification juridique de terrorisme. Ainsi un parquet spécial est désigné pour la gestion de la poursuite ainsi que des juges spécialisés en charge de l'enquête. Donc la compétence de ces entités est assise sur la définition de l'infraction assimilable à des actes de terrorisme.


Dès lors le Code Pénal français a défini le terrorisme comme tout acte se rattachant à " une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur". Et de là seront distingués deux types d'infractions qualifiables d'infractions constituant des actes de terrorisme. Il s'agira : 1/d'infractions de droit commun déjà existantes et déterminés par le Code pénal mais attachées a cette spécificité parce que commises dans des circonstances particulières qui leur confèrent cette nature juridique ; 2/d'infractions définies de manière autonome sans référence à une infraction existante.


Au total il résulte de cette nomenclature sus définie, que des infractions peuvent constituer un acte de terrorisme, lorsqu'elles sont commises en relation avec une entreprise à caractère terroriste. Le lien avec l'entreprise terroriste devenant le critère de qualification.


Au Sénégal l'architecture de la loi de la loi 2016-29 du 8 novembre 2016 qui a légiféré sur le traitement pénal des actes terrorisme et les actes assimiles s’est donc fondée sur cette articulation ci-dessus définie de la loi française, pour déterminer les éléments légaux des infractions qualifies d'actes de terrorisme[1].



Ensuite au plan de la procédure pénale, le législateur sénégalais dans la loi 2016-30 du 8 novembre 2016, s'est aussi conforme au principe de spécialisation des organes judiciaires existants dans le droit commun. C'est ainsi qu'il est créé un parquet spécial, puis des cabinets d'instruction spécialisés dans la juridiction de Grande Instance et au niveau de la police une section d'enquête spéciale, tous installes de la Capitale. Au second degré d'instruction la chambre d'accusation de la Cour d'appel de la Capitale est déclarée compétente.

 
Dans la même mouvance est créée pour le jugement des affaires d’abord en 1ere instance puis en appel, une chambre criminelle spéciale dans la juridiction de Grande Instance et la Cour d'appel de la Capitale.


Et toutes ces juridictions spéciales susvisées bénéficient d'une compétence d'attribution exclusive en raison de la nature juridique de l’infraction. Voir à cet effet l'article 677-30 de la loi 2016-30 du 8 novembre 2016 relativement à la Chambre criminelle spéciale du Tribunal de Grande Instance de la Capitale, qui est déclarée seule compétente pour le jugement des infractions entrant dans la catégorie juridique d'actes de terrorisme.


Il découle de cette règle de compétence d'attribution exclusive, qu'elle retire donc au Tribunal pour Enfant toute compétence de jugement d'un mineur suspecté de faits qualifiés d'actes de terrorisme.

Et cette conséquence juridique de la dite compétence d'attribution exclusive est d'autant plus renforcée, que l'alinéa 4 de l'article 677-30 dispose que: lorsqu'une juridiction autre que celle visée a l’article 1er du présent article (677), constate que les faits dont elle est saisie constituent l'une des infractions de la catégorie juridique d'actes de terrorisme, elle se déclare incompétente et renvoie le ministère public a mieux se pourvoir.


Conséquemment le Tribunal pour enfant usera de cette règle pour se dessaisir au profit des juridictions spéciales institues pour le jugement des infractions constituant des de nature terroristes.
Du coup l'enfant comme justiciable auteur va perdre son privilège de juridiction et toute la procédure spéciale attachée a son traitement en raison de son âge selon les exigences des articles 37 et 40 de la CIDE. Or cette situation juridique de l'enfant découlant de la CIDE parait ne pas être prise en compte par le législateur sénégalais dans l'actuelle procédure pénale applicable.


En effet la justice pour mineurs comporte parmi ses caracteristiques fondamentales au nombre de 7[2] le principe d'un privilège de juridiction pour l’enfant, et qui lui assure en plus tout au long de son fonctionnement la garantie d’une spécialité  procédurale fondée sur le respect des exigences définies par les articles 37 et 40 de la CIDE.


Or cette situation juridique découlant des lois ci-dessus instituées au Sénégal pour lutter contre le terrorisme, induit ainsi une entorse grave aux droits de l'enfant, alors que la Convention des droits de l'enfant a un caractère normatif supérieur a la loi et que le principe de l'intérêt supérieur de l'enfant exige du législateur national le devoir de respect en législation des règles spécifiques de la dite convention relativement à la prise en charge judiciaire des mineurs. Dès lors encore une fois une faille énorme s'installe, dans le respect des principes de la CIDE et dans la nécessité de son harmonisation avec le cadre légal national.


Car les mineurs victimes ou témoins de ces faits, comparaissant donc devant ces juridictions spécialisées découlant de la loi sénégalaise sur le terrorisme susvisée, subiront dès lors également les entorses graves dans leur prise en charge judiciaire d'une part, en raison de ce que le droit commun déjà  n'est pas aux normes prescrites par la CIDE et pire cette nouvelle législation l'est encore plus.



Ainsi le critère de la nature juridique de l'infraction va primer sur celui de la personne juridique de l'enfant, et il en découle sur ce plan que le législateur oublie encore, que la CIDE a conféré à l'enfant la qualité de sujet de droit exigeant en plus de tout acteur quel qu'il soit au nom des principes fondamentaux de la  Cide, ( intérêt supérieur, non-discrimination, droit a la participation, droit au développement) à devoir reconnaitre et respecter cette qualité juridique au moment de la prise des décisions.

C’est pourquoi il sera nécessaire de revoir cette législation pour son harmonisation avec les principes de la CIDE.

Dakar le 19/02/2018

Me François Diassi



[1]C'est ainsi qu’à titre illustratif l'article 279-1 de la loi 2016-29 du 8 novembre 2016,  détermine ce type d'infractions par référence d'une part à des infractions de droit commun existantes, cela allant d'un listing d’infractions où la loi les a rappelé avec les articles leur correspondant dans le Code pénal (énumérées de 1 à 11;13);  et d'autre part s’y ajoute  une liste complémentaire d'infractions  non précédemment existantes prévues et listées dans le même article 279-1 (au numéros 12; à 14 puis 16). Dans cette logique les divers articles suivant de cette loi précitée obéissent au même schéma de rédaction comparable de la loi française.

[2]7 caractères de la Justice pour mineurs :

  • elle donne une primauté de l’éducatif sur le répressif, et assume une mission globale de protection à l’enfant;
  • elle garantit un privilège de juridiction tout au moins pour l’enfant présume auteur d’infraction;
  • elle mobilise la présence des parents dans la procédure;
  • elle exige une assistance et défense obligatoire pour l’enfant;
  • elle garantit une phase d’instruction préalable et obligatoire:
  • l’enfant est partie prenante de tout le processus qui veille au respect de son intérêt supérieur.